1 Voeu judo... de bonne année ...!
Et pour bien débuter l'année, voici un beau texte d'Hiroshi Katanishi,
écrit il y a plus de quinze ans...
Il continue à faire réfléchir aujourd'hui...
"L’art de poser les paumes"
Il me semble que la notion du kumi-kata — qu’en France vous traduisez par garde alors que pour nous Japonais cela veut dire quelque chose comme, « façon de créer le contact » - est différente pour nous et pour vous.
Pour un Japonais, le kumi-kata, c’est saisir pour exprimer ce qu’on sait faire. Quand j’écoute les combattants en Europe, j’entends que c’est plutôt la façon d’empêcher l’autre de saisir. C’est de la tactique, alors que pour nous c’est un geste technique.
La notion de base du kumi-kata au Japon, est de poser les deux mains sur l’adversaire. C’est par le travail décalé des deux mains qu’on peut obtenir des déséquilibres, en pêchant d’un côté et en tirant de l’autre, en créant des transferts de poids sur les appuis, des rotations. On a une expression qui dit « quatre mains posées, c’est le judo ».
En Europe, on pense souvent, une saisie forte- une attaque particulière. Au Japon, le kumi-kata est une technique fondamentale qui doit permettre la polyvalence. C’est le socle à partir duquel on peut tout faire techniquement dans toutes les directions. C’est le premier élément d’une construction complexe qui fait le judo particulier d’un combattant : ses préparations, ses enchaînements techniques.
Au fond, le judo japonais n’est pas compliqué : On insiste fortement sur les notions de base, et après on laisse les judokas se débrouiller. La notion de base pour ce qui concerne le kumi-kata c’est qu’il faut poser les paumes sur l’autre. Quand on ne voit pas, dans le noir, on avance paumes en avant. Si on veut sentir qui nous fait face, il faut toucher avec les paumes, comme un aveugle ou un artiste, pour sentir les choses cachées. C’est sa vitesse, sa direction, son rythme propre qu’on apprend à percevoir. C’est une chose précieuse que le judo nous apprend : nous servir de nos mains pour sentir les autres. Et comme on peut faire sentir aussi, volontairement ou non, quelque chose à l’autre, on peut dire que le kumi-kata est un échange, presque un langage.
Pour que le corps puisse bouger parfaitement, le kumi-kata doit être ferme, mais souple. L’épaule crispée ne permet pas un bon mouvement. Dans les arts martiaux japonais, on sait qu’il est important de savoir laisser tomber l’épaule pour que les mouvements soient justes. Matsumoto sensei un professeur de tenri qui fut le plus jeune 8e dan du Japon et qui était entraîneur national de l’équipe du Japon en 1964 à Tokyo disait toujours, pour expliquer comment tenir le bras, qu’il fallait faire comme si on maintenait un œuf entre le bras et l’aisselle, et un oiseau dans la main pour décrire la façon de fermer les doigts, en verrouillant le petit doigt, sans serrer tout le poing.
Bien sûr, le kumi-kata traditionnel est une forme de base, qu’on peut changer légèrement en fonction de notre physique,de l’adversaire, de nos techniques favorites. Mais on ne le fait pas impunément. En montant la main au col derrière la tête, par exemple, on perd la possibilité de prendre de l’élan, de la distance. On perd soi-même une forme de liberté.
Les changements actuels qui s’opèrent en compétition de haut niveau sont très inquiétants. On nous a éduqué au Japon, et pour beaucoup aussi en France, à ne pas faire en compétition des choses qui nous fassent honte. Pour nous, il s’agissait de ne pas ramasser une jambe, ou fixer la tête de nos adversaires, avec l’idée qu’on n’avait pas besoin de ça pour gagner et qu’une victoire de cette façon n’est pas satisfaisante. Au Japon, on arrête encore tout de suite un combattant qui cède à cette tentation. Mais au niveau international, on s’habitue à voir, à faire ces gestes. Et tous les arbitres suivent. C’est étonnant ! Avant, la politique du judo était au service des combattants, là, on a plutôt l’impression que ce sont les combattants qui sont aujourd’hui au service des politiques. Mais il y a plus grave peut-être que l’arbitrage, c’est la façon dont les judogis sont à nouveau, de plus en plus difficile à utiliser. On fabrique des judogis de plus en plus épais et étroit au niveau du torse comme si c’était normal, et même intelligent, de fabriquer des vestes impropres à la saisie, à la pratique du judo ! Cette tendance actuelle où on fait en sorte, par différents biais, que le judo pur s’exprime le moins possible est quand même surprenante et, à terme, très grave. Le judo, c’est cet art spécifique qui passe par la saisie de la veste pour projeter. Avec des vestes impropres à la pratique, même ceux qui ne sont pas de cette culture sont poussés vers un judo de lutteur, avec des saisies directement sur le corps. Le jeu avec la toile qui habille l’adversaire c’est la science du judo, c’est ce qui fait de nous des jongleurs, des hommes qui se tiennent droits et cherchent l’espace, la liberté de mouvement. C’est la possibilité de vaincre des hommes plus forts et plus grands sans être obligé d’être soi-même très forts physiquement, c’est la perspective de travailler sans risque pendant des années en club dans une recherche d’approfondissement technique passionnante. C’est ce qui fait du judo une discipline universelle. Alors modifier le judogi, les règles de compétition à ce point, c’est une façon de tuer le judo."